Toute ma vie je traverse une période assez bizarreDe la pratique de Gérald Panighi, nous gardons à l’esprit ces dessins au format raisin, où l’artiste reporte en son centre et par l’entremise du calque, des fragments d’illustrations issus de la culture populaire, des mass médias. On détaillera ici une série de bouteilles de Heineken, ici une pin-up affublée d’un assemblage impressionnant de bustes, ici le chapeau d’un héros de bande dessinée réalisé au crayon au-dessous duquel une flèche enflammée est esquissée à l’huile. L’artiste, face à ce vocabulaire partiellement identifiable, se défie d’apposer sa touche et limite volontairement son intervention à des effets de style : redondance, renversement, recadrage, opposition, superposition. Le dessin lévite, en silence, circonscrit dans l’espace vide, maculé par l’intime, la présence de l’artiste s’immisce par l’entremise de taches et souillures, volontaires ou non. Elles sont dues aux médiums utilisés, résidus de peinture encore fraîche, le gras de la mine graphite accumulée sur la tranche de la main pendant l’opération de transfert revenant hanter le papier. Et pour autant « chaque trait est habité de sa propre histoire, dont il est l’expérience présente, il n’explique pas, il est l’événement de sa propre matérialisation » (Cy Twombly). Il n’y avait plus qu’un pas à faire pour que cette poésie qui émane du trait (du dessin), chez Gérald Panighi, glisse vers le verbe. Ce dernier n’est pas manuscrit mais tapé à la machine, il se décline sur la base de pronoms impersonnels, je, tu, il, ils ; il emprunte l’identité de noms communs, l’huissier, le gothique, le voisin, deux vieux, le moustique,… sans jamais faire appel aux noms propres et pourtant c’est bien de l’intime qu’il est question, du fait divers, de l’anecdote. La syntaxe est simple, il s’agit d’un écrit-parlé où la négation est incomplète (« je dis pas ça pour te consoler »), poésie du rien, de l’insignifiant, de l’absurde, jusque dans le format modeste et irrégulier du papier. Le dessin lui répondra ou non, mais n’illustrera jamais, les associations peuvent paraître improbables et pourtant l’esprit se met en ébullition, à la recherche du lien, remonte doucement le fil entre phrases et dessins. Qu’est-ce qui peut bien unir « je n’ai besoin de personne » et ce nageur ? – « Ils ont filmé le vomi » / Chapeau – « Ils ont râté leur vie » / Moustique – tel un récit discontinu dont l’on tente de combler les blancs, ou encore ce laisser-aller de l’esprit qui nous porte au gré de nos pensées pour à l’arrivée se demander comment de la liste des courses on a bien pu dériver sur cet après-midi au bord de l’eau. La pensée devient autodidacte, la mémoire se focalise sur des bribes d’illustrations, de réflexions, de conversations. Gérald Panighi, laisse une large part au hasard dans l’accrochage, au même titre qu’à l’accident dans l’exécution. Disposés en nuage sur le mur de l’atelier, ou d’un espace d’exposition, ces dessins sont autant d’instantanés multicolores et fragiles, épinglés au mur, cartographie d’instants fugaces, peut-être tout simplement parce que « je n’ai jamais eu de mémoire, je ne me souviens le plus souvent que de faits absurdes, insignifiants, mes souvenirs se figent sur des détails anodins, cela pourrait être une de ces araignées au corps minuscule et aux pattes immenses sur le carrelage blanc de la salle de bain, ou le klaxon des nouveaux mariés [qui] fonctionnait mal. » | Panighi-toute-ma-vie | Gérald Panighi, Ils ont ratés leur vie, 2004. | Gérald Panighi, C'était comme si il essayait de gravir une colline boueuse avec des espadrilles. | Gérald Panighi, Je dis pas ça pour te consoler. | Gérald Panighi, Le premier jour, l'huissier avait un peu peur. | Gérald Panighi, On s'est plus quitté, c'est venu plus tard. | Gérald Panighi, La vieille essayait de maîtriser son chien, 2005. | Gérald Panighi, Je suis pas fayot je suis amoureux. | Gérald Panighi, Ses parents sont venus avec la camisole. | Gérald Panighi, On a essayé de philosopher mais on n'a pas réussi, 2007. |